Dossier thématique IA22133709 | Réalisé par
  • enquête thématique régionale, Inventaire du patrimoine lié à l’histoire toilière de la Bretagne
Prospérité toilière et chantiers paroissiaux (Le Bodéo)
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Dossier non géolocalisé

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  • Aires d'études
    Ploeuc-sur-Lié

Paroisse située au nord de la manufacture des « bretagnes », Le Bodéo dépend du marché aux toiles de Quintin. Du 17e siècle au 1er quart du 19e siècle, elle vit essentiellement au rythme de l’activité toilière. Celle-ci mobilise une grande partie de la population, principalement composée de tisserands et de filandières. Le registre de marques de Quintin (1720-1755) recense 86 tisserands et 13 marchands de toiles. A ces 99 paroissiens impliqués dans l'activité toilière, il faut ajouter les filandières, non recensées mais néanmoins très nombreuses, et d'autres professions connexes comme celles de blanchisseurs, de fabricants de cendres, de lamiers (artisans spécialisés dans la fabrication et la réparation des lames des métiers à tisser) et de carreurs (artisans spécialisés dans le pliage des toiles). Toutefois, les bénéfices de cette activité sont largement concentrés entre les mains d’une minorité marchande, particulièrement influente au sein du général de paroisse (assemblée de laïcs et de clercs chargée d’administrer les biens de la communauté paroissiale). Jusqu’aux années 1730, le milieu marchand demeure hétérogène, composé à la fois de marchands et de marchands-tisserands. Les premiers, étant à la tête d'affaires de plus grande envergure et plus lucratives, et les seconds, cumulant l'activité de tissage et marchande à moindre ampleur.

Un élargissement du milieu marchand au début du 18e siècle

La famille Garnier, une importante dynastie de marchands de toiles

La famille Garnier, la plus importante du Bodéo, se distingue dès la seconde moitié du 17e siècle par un signe de notabilité, l'usage du titre de « sieur », à l'instar des marchands quintinais. Cette proximité avec le milieu marchand de Quintin peut expliquer la réussite précoce des Garnier. Ils apparaissent dès la fin du 17e siècle comme la famille la plus fortunée, seule lignée de marchands de toiles au sein d’un milieu composé de marchands-tisserands. Le rôle de capitation de 1695 mentionne que les Garnier (Pierre, Gilles et Jean) sont nettement plus imposés que le reste des paroissiens, révélant des revenus plus importants. La prééminence des Garnier perdure au 18e siècle avec Jean Garnier, il se place comme le paroissien le fortement imposé sur la période couverte par les rôles de capitation (1695-1710) et le plus présent au sein du général de paroisse (1711-1735). Les titres empruntés par les Garnier permettent de dessiner des lignées qui perdurent sur plusieurs générations, pendant tout le 18e siècle. Le marchand de toiles le plus important de la fin du 17e siècle est Pierre Garnier, il est à l’origine de deux branches : les « sieurs de Kerigant » avec Jean Garnier (d’abord sieur de Blouard) et son fils, François Garnier ; les « sieurs de la Rue » avec Gilles et son fils, Julien Garnier. L’importance des Garnier se traduit aussi par leur présence pérenne au sein du général de paroisse (Jean Garnier est quinze fois délibérant, entre 1711 et 1735 ; Jullien Garnier quatre fois, entre 1730 et 1735) et par l’élection de François Garnier comme premier maire de la commune. La prééminence des Garnier se maintient jusqu’à la Révolution.

Une ascension sociale de famille de tisserands

Le Bodéo est une paroisse rurale du centre de la Bretagne, où le commerce de la toile constitue l’un des rares vecteurs d’enrichissement et d’ascension sociale, dont certaines familles de tisserands vont tirer parti pour s’élever. L’ascension des Garnier préfigure celle d’autres familles du Bodéo, qui vont à leur tour s’établir en lignées de marchands de toiles. Les Garnier composent la première dynastie identifiable, mais le 18e siècle voit émerger d'autres lignées comme les Guillart : Allain, Ollivier, puis Marc ; ou encore les Crézé : Michel, puis Joseph. En effet, le milieu marchand du Bodéo va être le théâtre d’ascensions sociales de plusieurs familles de tisserands. Le registres de marques de marchands de Quintin permet d’éclairer la situation de marchands de toiles, issus de famille dont les membres étaient mentionnés comme tisserand dans les documents d’imposition en 1695 : Yves Boscher, François Morice, François Hervé et Jean Catho. Enfin, Julien Collin est capité comme tisserand en 1695, alors que son fils Guillaume et son petit-fils Jean sont mentionnés comme marchands de toiles dans les documents du 18e siècle. Ce phénomène est possible jusqu’au années 1730, avant d’être stoppé par les lettres patentes de 1736. L’administration royale se donne les moyens de faire appliquer ses nouvelles orientations par la présence quotidienne de ses représentants. Cette surveillance passe par le passage obligatoire dans des bureaux de contrôle établis à Quintin, Uzel et Loudéac. Désormais, il est interdit aux tisserands d’acheter des toiles, cette activité est réservée aux marchands.

Le général, instance de décision local

Un milieu marchand influent

L’influence des marchands de toiles au sein de la paroisse se traduit par leur grande représentation au sein du général, alors qu’ils sont une minorité au sein de la population paroissiale. De fait, ils sont nombreux à prendre les décisions importantes pour la paroisse, notamment celles qui concernent les chantiers paroissiaux. Entre 1711 et 1735, on recense douze marchands dans le général de paroisse. Ce groupe de marchands s’apparente au cœur décisionnel de la paroisse, ils représentent entre un tiers et la moitié des délibérants entre 1711 et 1719, puis entre 1730 et 1735. Ils exercent donc un réel poids décisionnel au sein des affaires de la paroisse, impliqués de manière régulière dans une assemblée de délibérants qui est plutôt stable, avec des nommés qui reviennent régulièrement. Cette récurrence alimente le lien entre importance financière générée par l’activité toilière et influence décisionnelle au sein du général, faisant des marchands les principaux acteurs des chantiers paroissiaux. Jean Garnier et Allain Dubois, les marchands de toiles les plus importants du début du 18e siècle, sont présents comme délibérant sur toute la période couverte par le registre de délibérations. Les tisserands représentant la plus large partie de la population impliquée dans la production toilière, sont sous-représentés dans le général de la paroisse et leur présence y est moins pérenne. On relève néanmoins, régulièrement des noms de tisserands, mais parmi les plus aisés de cette catégorie comme les Rault, les Tilly, les Le Turdu et les Crolebo.

Le rôle de député

Les marchands de toiles occupent régulièrement la fonction de député lors de projets paroissiaux, ils sont alors chargés de suivre le chantier et de conclure le marché avec les artistes. Jean Collin, sieur du Petit-Bois est député auprès du peintre Dupont pour la peinture du retable du choeur et de la voute lambrissée de l’église, puis Jean Garnier, sieur de Kerigant et Jullien Garnier, sieur de la Rue pour la réparation du presbytère en 1731.

 

Des projets paroissiaux financés grâce à l’argent de la toile

Les chantiers paroissiaux sont commandités, pilotés et largement financés par les marchands. Quand la conjoncture est favorable au commerce toilier, la participation des catégories socio-professionnelles modestes permet une hausse de la valeur des dons. Cette participation appréciable reste limitée du fait de la pauvreté de cette population, composée en grande partie de tisserands.

Un financement des chantiers permit par une hausse des donateurs et de la valeur des dons

Au Bodéo, la prospérité toilière trouve un écho à partir du milieu du 17e siècle par la hausse du nombre de donateurs, s’accompagnant d’une hausse de la valeur des dons. L’augmentation du nombre de donateurs (65 entre 1645 et 89, puis 89 entre 1655 et 1668) est perceptible jusqu’en 1668, date à partir de laquelle les comptes de fabriques se simplifie et cessent de mentionner les donateurs. La valeur des dons double entre le milieu du 17e siècle et le milieu du 18e siècle (d'une trentaine de livres à une soixantaine de livres), grâce à une prospérité économique qui permet à certains paroissiens de se montrer généreux envers leur église, mais aussi envers la confrérie du Rosaire. Cette tendance connaît toutefois un important fléchissement à la fin du 17e siècle (autour de 25 livres), rappelant que le commerce de la toile est sujet à des aléas.

L’observation des dons se fait donc reflet de l’importance de l’activité toilière au Bodéo, mais aussi indirectement de l’état du marché de Quintin, qui participent à la concrétisation financière des chantiers paroissiaux. L’augmentations des dons coïncide avec l’essor du marché de quintin, permettant de financer ce grand programme architectural et mobilier sur une courte période, avec un programme surement réfléchit à l’avance par le général de paroisse. Cependant, la valeur des dons du Bodéo reste plutôt modeste, au regard d’autres paroisses du cœur de la manufacture. Une modestie qui peut s’expliquer par une plus petite population, mais aussi surtout par un milieu marchand plus modeste, composé à majorité de marchands-tisserands.

Un financement des chantiers grâce à une accumulation du trésor de fabrique

Les dons au Bodéo ne représentent que rarement plus du tiers des revenus annuels de la paroisse, lesquels dépassent peu souvent 200 livres par an. Ainsi, c'est en accumulant son trésor de fabrique sur plusieurs années que la paroisse parvient à constituer un capital financier pour réaliser les différents chantiers. L’argent géré judicieusement par les paroissiens permet à cette paroisse rurale de renouveler rapidement ses réserves financières et de se lancer dans plusieurs projets sur une période réduite.

  • Période(s)
    • Principale : 2e moitié 17e siècle, 18e siècle

Documents d'archives

  • Série G. Clergé séculier ; Sous-série 20 G. Fonds des paroisses :

    - 20 G 10 : Registres de délibérations (1711-1735), comptes de fabrique (1684-1789)

    - 20 G 11 : Rôles de capitations et de fouages (1695-1788), visites épiscopales, confrérie du Rosaire, chapelle de Quellineuc, travaux église et presbytère

    Série B. Cours et juridictions :

    - B 3637 : Registre de marques de toiles du bureau de Quintin

    Archives départementales des Côtes-d'Armor : 20 G 10, 20 G 11, B 3637
    20 G 10, 20 G 11, B 3637
  • Série C. Administrations provinciales ; sous-série 1 C. Intendance et Etats de Bretagne :

    - 1 C 6242 : Enregistrement des marques des fabricants

    Archives départementales d'Ille-et-Vilaine : 1 C 6242
    1 C 6242

Bibliographie

  • MARTIN, Jean. Toiles de Bretagne, La manufacture de Quintin, Uzel et Loudéac, 1670-1830. Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 1998.

    Région Bretagne (Service de l'Inventaire du patrimoine culturel)
    p. 164-169

Périodiques

  • GUILLEMOT, Anthony. Le patrimoine religieux de la manufacture des toiles « bretagnes ». Prospérité toilière et ambition fabricienne en Centre-Bretagne (1650-1790). Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, 2011, n° 118-1, p. 87-111.

    Région Bretagne (Service de l'Inventaire du patrimoine culturel)
    p. 92-96

Annexes

  • Le milieu marchand du Bodéo
Date(s) d'enquête : 2025; Date(s) de rédaction : 2025