En 2021, le laboratoire de recherche ARchéologie et Architectures (CReAAH Nantes - LARA, UMR 6566) hébergé par Nantes Université a répondu à l’appel à projets proposé par la Région Bretagne « inventorier les patrimoines culturels des ports de Bretagne. »
L’opération portée par le LARA consiste en l’inventaire des ports maritimes et fluvio-maritimes anciens de Bretagne. L’étude conduite par des archéologues professionnels, issus de diverses institutions, est menée en partenariat avec la Région Bretagne.
1. Le cadre institutionnel et scientifique du projet
Le projet d’Inventaire intitulé « Détection et mise en valeur des ports maritimes et fluvio-maritimes anciens de Bretagne » est le fruit d’une collaboration interinstitutionnelle mise en place entre le ministère de la Culture représenté par le Département des Recherches Archéologiques Subaquatiques et Sous-marines (DRASSM) et par le Service Régional d’Archéologie (SRA) de Bretagne, Nantes Université et le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS). Il s’insère dans un programme de recherche plus vaste, initié en 2019, dont la finalité est de progresser sur la connaissance des emplacements portuaires anciens, protohistoriques ou historiques. Il s’appuie sur une expérience scientifique en termes d’archéologie navale et portuaire, mais également en matière de valorisation ou de méthodologie – recours à la géomatique ou à la prospection archéologique. C’est dans ce cadre qu’interviendront des étudiants du master ASA (Archéologie, Sciences pour l’Archéologie) et du master GAED (Géographie, aménagement, environnement et développement) de Nantes Université.
1.1. Les objectifs du projet
Alors que les connaissances sur l’emplacement de sites portuaires anciens, protohistoriques ou historiques restent limitées en Manche et en Atlantique, ce projet vise à alimenter l’Inventaire des biens patrimoniaux en lien avec une activité portuaire ancienne sur le littoral breton. La difficulté à les détecter découle sans doute du fait que les historiens et archéologues se sont longtemps focalisés sur la recherche d’équipements (quais, môles, digues, jetées, appontements, cales, rampe), se privant ainsi de toute une série de paléoports. Or, ce qui définit avant tout un port, outre ces équipements portuaires qui modifient l’environnement naturel, c’est bien un cadre naturel – géographique et topographique, mais également météorologique – susceptible de favoriser l’accostage, l’embarquement ou le débarquement de biens et d’hommes. C’est pourquoi, afin de progresser quant aux formes et aux configurations portuaires les plus anciennes, l’objectif de cet Inventaire est de renseigner et de cartographier les espaces naturels susceptibles d’avoir accueilli des ports depuis la Protohistoire (âge du Bronze et âge du Fer) jusqu’à l’époque moderne.
Les objectifs visés par ce programme, et auquel contribue ce projet, sont multiples :
- Repérer les espaces naturels les plus propices à l’implantation portuaire du littoral breton et les confronter à la carte archéologique ;
- Décrire et étudier les contextes géographiques (reliefs, géomorphologie du trait de côte, géologie, nature du sous-sols) des zones définies et évaluer leurs potentiels en termes de vestiges archéologiques depuis la protohistoire jusqu’à l’époque moderne. L’objectif est de définir des catégories géomorphologiques propres au littoral breton, propices à l’implantation portuaire, et d’exprimer l’état des connaissances archéologiques associées à ces zones.
- Au sein de ces zones, identifier et cartographier le plus précisément possible les sites susceptibles d’avoir servis d’espace portuaire. Une analyse des fonds documentaires issus de la photographie aérienne, mais aussi du Lidar, contribuera à ce repérage des sites évanouis dans le paysage contemporain.
- Mettre en valeur ses sites patrimoniaux visibles et invisibles par le biais d’une couverture photographique des éléments conservés dans le paysage (équipements visibles et conservés) et ceux induits par l’analyse archéogéographique conduite en amont (sites portuaires fossilisés, etc.).
1.2. Les enjeux scientifiques
L'enjeu est double pour l'archéologie. En effet, il s'agit de mieux définir et mettre en lumière les zones à fort potentiel portuaire pour les périodes anciennes, mais également d'inventorier précisément les sites ayant pu accueillir une activité portuaire sur le littoral breton.
D’une part et à terme, une telle étude a pour vocation de mieux définir les zonages de protection, afin d’orienter les politiques de prescription archéologique (zones de présomption de prescription archéologique). Cette enquête permettra de déterminer des zones archéologiques sensibles, afin de les protéger d’éventuels projets d’aménagements pouvant les affecter.
D’autre part, il faut considérer cet inventaire comme une étape décisive dans la mise en place d’un programme de recherche plus vaste, qui vise à progresser quant à la connaissance des emplacements portuaires anciens sur le littoral breton. Plus précisément, cet inventaire doit permettre d’aboutir à la sélection d’un ou de plusieurs sites candidats (de « zones atelier »), qui feront l’objet d’opérations de terrain, combinant à une approche géomorphologique, des opérations de reconnaissance (prospection pédestre, subaquatique ou sous-marine), des prospections géophysiques, des campagnes de sondages et de fouilles.
2. Cadres et enjeux de l'opération
2.1. Le contexte scientifique et le cadre de la zone d'étude
Ce projet d’inventaire et de recherche sur les ports anciens de Bretagne est parti du constat que la péninsule bretonne, par son implantation stratégique et ses 3 300 km de côtes, a joué un rôle important en termes d’échanges commerciaux par voie de mer dès les périodes les plus anciennes. En effet, l’importance de cette ouverture sur le littoral des territoires du nord-ouest de la France offre un potentiel attractif dès les périodes les plus anciennes, qui a pu être démontré pour l’âge du Fer et l’époque romaine. On peut citer les travaux de synthèse et de cartographie réalisés par Martial Monteil (Professeur, Université de Nantes, UMR 6566) et Thierry Lorho (Conservateur du patrimoine, SRA de Bretagne, UMR 6566), mais également ceux mis en place par l’équipe 1 « Archéologie de la mer et du Littoral » du CReAAH (UMR 6566), dirigée par Marie-Yvane Daire (directrice de recherche, CNRS) et Catherine Dupont (chargée de recherche, CNRS). Ces dernières recherches ont montré une forte attractivité du littoral pour les périodes cumulées du premier et du second âge du Fer, toutes catégories de sites confondues (dépôts, éperons barrés, sites funéraires, habitats, oppida, métallurgie, saunerie, parcellaire). Cette ouverture sur l’Atlantique semble avoir eu pour conséquence une organisation territoriale spécifique aux cités les plus occidentales durant le Haut-Empire romain, caractérisée par un déséquilibre spatial de la répartition de l’occupation, qui puise ses origines au plus tard à la fin de l’âge du Fer.
Si l’attractivité du littoral et des principaux axes fluviaux aux périodes anciennes apparaît comme une évidence, les connaissances sur l’emplacement de sites portuaires anciens demeurent limitées. C’est pourquoi, en 2021, dans le cadre d’un travail collectif, une synthèse documentaire a été engagée de manière à croiser les données archéologiques, géographiques et topographiques. Il s’agit d’obtenir une grille d’analyse qui permette de nourrir une première réflexion sur les secteurs propices au développement d’activités portuaires anciennes. L’idée est ainsi d’arriver à une meilleure appréhension du potentiel portuaire et des paléoports bretons (ports encore actifs, ports reliques et ports fossiles). En effet, à travers ses côtes découpées et ses fleuves côtiers, ce littoral présente une réelle diversité géographique et topographique (îles, caps, pointes, baies, anses, criques, aber (ria), plages et grèves), préfigurant autant d’opportunités portuaires (mouillage, échouage, accostage…).
Afin de tenir compte des particularités naturelles de ce littoral et aussi pour cadrer la prise en compte des vestiges archéologiques relevant du domaine terrestre – tout type d’occupation : habitats, fortifications, voies terrestres, … – et du Domaine Public Maritime (DPM) – tels que les épaves, les pêcheries, site d’exploitation des ressources littorales, mobilier retrouvé isolément, etc. –, il a été choisi de définir un périmètre d’étude correspondant à une zone tampon d’un mile nautique (soit 1,852 km) de part et d’autre du trait de côte. Cette contrainte géographique, qui a pour but de faciliter les requêtes spatiales dans le cadre d’une analyse cartographique, a également été définie pour sa pertinence scientifique partant du postulat que les populations arrivant par la mer ont tendance à s’établir au plus près du littoral. Précisons que la « bande littorale » ainsi obtenue épouse bien les pénétrations fluviales particulièrement favorables à l’implantation portuaire.
Afin de n’omettre aucune piste de recherche et pour permettre une mise en contexte géohistorique, les réseaux de communication (terrestres et fluviaux) ainsi que les réseaux urbains anciens seront intégrés plus largement, à l’échelle de la péninsule bretonne.
2.1. Le cadre chronologique de l'étude
Sans prétendre à l’exhaustivité, cette étude s’inscrit résolument dans une démarche diachronique de la Protohistoire à l’époque moderne. Le choix d’un intervalle chronologique large offre la possibilité de conduire une analyse régressive des territoires, depuis les périodes les plus récentes et les mieux documentées (Moyen Âge et époques modernes), qui bénéficient de sources écrites, iconographiques voire d’aménagements et/ou de vestiges encore bien conservés dans le paysage actuel vers les périodes les plus anciennes et les plus difficiles à détecter. Le débouché d’une voie de communication terrestre à proximité du front de mer laisse augurer l’existence d’une zone de chargement et de déchargement de cargaisons maritimes acheminées depuis ou vers l’arrière- pays.
2.2. Les enjeux de la valorisation à destination des publics
Outre les rapports de stages et les mémoires de master produits par le ou les étudiant(s) à l’issue de leur travail, ce projet donnera lieu à la rédaction d’articles scientifiques. Un premier article présentant la méthode d’analyse spatiale qui constitue le point de départ de cette enquête sera présenté à l’occasion de la publication des actes du colloque international HOMER 2021, intitulé « Archéologie des peuplements littoraux et des interactions Homme/Milieu en Atlantique nord équateur » et qui s’est déroulé à l’Île d’Oléron du 28 septembre au 2 octobre 2021. Les résultats de l’Inventaire pourront également faire l’objet de publications dans des revues régionales ou nationales, telle que la Revue Archéologique de l’Ouest.
À l’issue du projet, une ou plusieurs communications (conférences) à destination de tout public seront proposées dans le cadre de manifestations organisées par la Région Bretagne, ou à l’occasion de journées scientifiques ouvertes à tous (Journées européennes du patrimoine, Journée scientifique du DRASSM, Journées archéologiques régionales, Journée scientifique de l’Adramar, etc.).
Maître de conférences (Nantes Université), CReAAH, LARA, UMR6566