Dossier thématique IA22133710 | Réalisé par
  • enquête thématique régionale, Inventaire du patrimoine lié à l’histoire toilière de la Bretagne
Prospérité toilière et chantiers paroissiaux (Trévé)
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  • Aires d'études
    Loudéac

Trévé est une paroisse au sud de la manufacture des « bretagnes », dépendante du marché aux toiles de Loudéac. Au cours du 17e et 18e siècle, la paroisse dont une large partie de la population est impliquée dans l’activité toilière, connait une période de prospérité économique, dynamisée par le commerce des toiles. Cette dynamique marque le paysage de la commune par l'édification d'importantes maisons par les marchands de toiles, mais s’accompagne aussi d’un renouvellement des édifices et du mobilier religieux. Si l’enrichissement issu de l’activité toilière permet de financer certains projets dès la première moitié du 18e siècle, c’est dans la seconde moitié de ce siècle que les travaux se multiplient sur une période relativement brève, correspondant à l’apogée du marché de Loudéac.

Le milieu marchand, cœur décisionnel de la paroisse

Le milieu marchand représente une frange réduite de la population, accaparant la majorité des revenus issus de l’activité toilière. Les documents d’imposition mettent en évidence une nette différence de revenus entre les marchands de toiles et le reste de la population paroissiale. Entre 1786 et 1790, 45 % des habitants de la paroisse sont capités entre 0 et 2 livres, et 30 % entre 3 et 5 livres. En revanche, les marchands de toiles affichent des valeurs de capitation nettement plus élevés : dix d’entre eux sont imposés entre 1 et 10 livres, la majorité soit 21, se situent entre 11 et 40 livres, tandis qu’un petit groupe de trois se distingue avec des capitations allant de 70 à 140 livres. Cette lucrativité du commerce de la toiles a poussé différentes familles de marchands de toiles à s’établir en dynasties, dont l’importance économique et sociale au sein de la paroisse est discernable du 17e au 19e siècle.

Une paroisse dominée économiquement et socialement par des dynasties de marchands

La famille Moisan constitue la dynastie de marchands de toiles, la plus fortunée de Trévé. Originaire de Gausson, les Moisan sont identifiables comme marchands sur trois générations à Trévé avec Pierre, Sébastien (marchands de toiles, ainsi que sénéchal de juridiction et avocat) et Pierre-Anne Moisan. Leur richesse transparait dans le paysage bâti de la commune par la somptueuse maison de la Ville-aux-Veneurs que Sébastien Moisan fait bâtir en 1761, inspirée des malouinière (travée régulière, vestibule donnant sur un escalier intérieur, cour fermée, …). Le commerce de la toile est le principal moteur de l’ascension social de cette famille. Cependant, c’est Pierre-Anne qui donne une envergure particulière aux affaires familiale. Il incarne la figure typique des grands marchands de toiles de la seconde moitié du 18e siècle, ayant tiré profit de l’apogée de la manufacture des « bretagnes » pour s’imposer parmi ses négociants les plus fortunés. Une richesse qui transparait par son imposition particulièrement élevée (parmi les plus fortement capité de la manufacture) : 150 livres en 1786, 90 livres en 1787, 150 livres en 1788, 163 livres en 1789 et 128 livres en 1790.  Sa richesse se traduit dans le général par une influence sociale, Pierre-Anne Moisan se place parmi les paroissiens les plus présents au sein du général de paroisse (assemblée de laïcs et de clercs chargée d’administrer les biens de la communauté paroissiale). Cette importance au cœur des affaires paroissiales se poursuit jusqu’à la période révolutionnaire, lorsqu'il devient le premier maire de la commune et son fils Ange-Marie, le troisième.

La famille Blanchard est celle qui compte le plus grand nombre de marchands de toiles à Trévé, cernable dès la seconde moitié 17e siècle avec Pierre, Maury, François et Jean Blanchard. Le paysage bâti de la commune porte encore les témoignages de cette période faste pour la famille Blanchard à travers la construction (entre 1670 et 1680) d’imposantes maisons au Retheux d'en Haut, à La Ville-aux-Veneurs et au Ménec. Le 18e siècle constitue une grande période de prospérité pour le marché de Loudéac, marquée par une présence plus importante de marchands de toiles, dont l’activité est connue grâce à une plus grande profusion des archives paroissiales. Plusieurs marchands de toiles issus de la famille Blanchard s’illustrent au sein du registre de délibérations, parmi eux : Guillaume Blanchard, Corentin Blanchard, Julien Blanchard (sieur de Kergand), François Blanchard et Julien Blanchard (sieur du Retheux). La famille Blanchard illustre le caractère héréditaire de l’activité marchande, perceptible notamment à travers la transmission de titres, comme ceux des branches des sieurs de Kergand et du Retheux. Elle témoigne également de la diversité des profils à la fin du 18e siècle : la liste des citoyens actifs de 1790 mentionne Joseph Jean-Baptiste Blanchard (sieur de la Ville-aux-Veneurs) comme laboureur, ce qui suggère une pratique occasionnelle du commerce de la toile. Au sein du général de paroisse, la famille Blanchard est celle qui compte le plus de délibérants et de trésoriers de fabrique. Les Blanchard occupent un réel rôle décisionnel et financier dans la paroisse.

Les Ollitrault constituent une autre des importantes familles de marchands de toiles, représentés dès la fin du 17e siècle. Dans la seconde moitié du 18e siècle, plusieurs marchands se distingue parmi les délibérants du général : Yves Joseph Ollitrault (sieur de Kergoüet), Jean-Baptiste Ollitrault père, Jean-Baptiste Ollitrault fils, Julien Ollitrault (sieur du Clézio) et Mathurin Ollitrault. Certains membres ont une double activité : Yves et Jean-François Ollitrault sont laboureur et marchand ; Pierre Ollitrault mentionné comme laboureur, a sa marque d’enregistrée au bureau de marques de Saint-Malo induisant qu’il se prête également au commerce de la toile. La richesse de la famille transparait aussi dans la commune à travers la maison de Kergoüet, construite par Yves Joseph Ollitrault en 1778. Tout comme la famille Blanchard, l’activité marchand a permis à la famille Ollitrault de s’élever parmi les familles les plus importantes de la paroisse. Elle est notamment la seconde famille la plus représentée au poste de trésorier de fabrique.

La famille Le Roux est plus réduite mais présente un exemple intéressant d’ascension sociale au cours du 18e siècle. La famille est composée de trois marchands : Yves Le Roux, Alexis le Roux (sieur du verger) et son fils, Alexis Le Roux. La prospérité familiale se manifeste par la construction d’une maison dans l’écart du Retheux d’en Bas et par le financement en 1810 de la croix de chemin, dite de Saint-Caradec, par Alexis Le Roux fils et sa femme Noëlle Trobert. La famille Perreux semble suivre un schéma similaire, dont l’activité marchande est observable avec Ollivier Perreux, Louis Perreux, Julien Perreux (sieur Kerleau), puis son fils, louis Perreux. L’activité marchande de la famille Thomas semble également se développer dans la seconde moitié du 18e siècle avec Jacques Sébastien Thomas, Pacifique Thomas, Pierre Thomas et Ange Thomas (sieur du Bourgneuf).

Une grande présence des marchands de toiles dans le général de paroisse

Une quarantaine de marchands de toiles s’illustrent au sein de l’assemblée du général de paroisse au 18e siècle (1740-1786), représentant près d’un tiers des délibérants mentionnés, alors qu’ils constituent une minorité de la population paroissiale. Le lien entre richesse issue de l’activité toilière et présence au sein du général est donc particulièrement lisible à Trévé, qui voit un groupe de marchands omniprésent avec des familles de marchands qui s’illustre de manière pérenne au sein du général. Parmi elles, les familles Blanchard et Ollitrault sont les plus citées. Entre 1740 et 50, les marchands représente entre un tier et la moitié de l'assemblée des délibérant, nommés pour une année. Il représente ensuite entre 1750 et 1786, la majorité de l'assemblée. Le général est donc sous influence directe du milieu marchand, accaparant en même temps que la majorité des recettes de l’activité toilière, la plupart des fonctions paroissiales. Cette mainmise est la plus visible dans la fonction de commissaire/député (paroissien chargé d'assurer la bonne conduite des chantiers paroissiaux) occupée par 11 marchands sur les 12 paroissiens désignés pour suivre les projets.

Des chantiers paroissiaux, produit de la prospérité toilière

Le financement des chantiers est permis par des offrandes faites par une plus large frange de la population. Une population paroissiale largement impliquée dans l’activité toilière, qui profite de manière inégale des richesses générées, puisque les marchands sont les principaux bénéficiaires des revenus tandis que les tisserands, bien que plus modestes, bénéficient de manière plus modérée de la bonne santé de cette activité pour pouvoir faire des dons à la paroisse. Les registres paroissiaux entre 1669 et 1686 sont assez parlant sur la population impliquée dans l’activité toilière, 673 paroissiens sont mentionnés : 216 sont tisserands (32 % des recensés), 142 sont marchands de toile (21 % des recensés), 30 sont tisserands-marchands (4 % des recensés), 26 sont marchands-laboureurs (3 % des recensés), 20 sont tisserands-laboureurs (2 % des recensés) et 5 sont marchands-tisserands-laboureurs. Une liste des citoyens actifs dressée en 1790 permet de se faire une idée de la situation de l’activité toilière dans la paroisse de Trévé à la fin du 18e siècle. Sur 3 063 habitants, 340 paroissiens sont jugés actifs, ce qui exclut les femmes. Sur ces 340, 105 sont tisserands (31 %), 13 sont laboureurs-négociants (4 %), 13 sont laboureurs-tisserands (4 %), 9 sont négociants (3 %), 2 sont blanchisseur et 1 est blanchisseur-laboureur.

Des comptes de fabrique lacunaires

Les comptes de fabrique sont la principale source permettant d’éclairer le lien entre prospérité toilière et chantiers paroissiaux. Les comptes de fabrique de Trévé sont très lacunaires : de 1781 à 1784 pour l’église, de 1780 à 1785 pour la chapelle Saint-Just, 1782 et 1783 pour la chapelle Saint-Pierre, de 1782 à 1786 pour la confrérie du Rosaire. ils permettent cependant d’avoir une idée de l’importance des dons pour cette période. Sans surprise, c’est vers l’église paroissiale que sont dirigés la majorité des dons, de 44 à 96 livres par an. Des dons stimulés par des projets de travaux, comme en témoigne l’année 1782, la plus généreuse, marquée par les travaux de réparation de l’église. En effet, c’est dans les années de construction, d’embellissement ou de réparation que la générosité des paroissiens est davantage sollicitée par le général de la paroisse. La générosité des paroissiens s’exerce également envers la chapelle Saint-Just (de 46 à 60 livres entre 1780 et 1785), la chapelle Saint-Pierre (de 65 à 81 livres en 1782 et 1783) et la confrérie du Rosaire (de 30 à 42 livres entre 1782 et 1786). Seul l’année 1782 offre une visibilité complète sur les comptes, avec un total de 250 livres de dons, les autres années présentant des lacunes. L’ampleur des dons laisse penser que les paroissiens n’ont pas eu forcement besoin d’avoir recours à une accumulation du trésor de fabrique afin de financer les projets.

La démographie comme indice

En l'absence de comptes sur une longue période pour évaluer la prospérité de la paroisse, les registres paroissiaux révèle une croissance démographique, signe d’un développement économique. D’une moyenne de 73 baptêmes dans les années 1610, la paroisse passe à 83 dans les années 1640, puis 112 entre 1665 et 1674. L’élévation continue du nombre des naissances traduit une amélioration des conditions de vie au cours du 17e siècle. Elle rentre en résonance avec la croissance démographique observée à l’échelle régionale, entre 1650 et 1675. La prospérité économique de la Bretagne, nourrie par l’intense production de toiles, laisse une empreinte sur l'évolution démographique. Les témoins matériels de cette prospérité toilière sont le chantier sur l’église en 1709, et les chantiers privés entrepris par les marchands de toiles pour la construction de leurs maisons au Retheux, à la Ville-aux-Veneurs et au Ménec construites vers 1670-1680. Les paroissiens n’auraient pas pu se lancer dans de tels chantiers sans les dons accumulés depuis plusieurs années grâce à une prospérité qui profite surtout à l’élite marchande. Après une baisse relative de la natalité à la fin du 16e siècle, les années 1710-1735 sont caractérisées par un accroissement de la population comprise entre 46 habitants et 56 habitants par an. La paroisse a gagné environ 2 000 habitants sur cette période. Cette croissance démographique traduit une bonne santé économique qui se matérialise par le renouvellement du mobilier liturgique et la construction du clocher dans la première moitié du 18e siècle. La démographie repart à la hausse après 1745, comme en écho à la prospérité toilière retrouvée. Elle se traduit à Trévé par une série de chantiers afin d’agrandir l’église pour répondre à la hausse de la population. 

La démographie de Trévé est intimement liée à sa situation économique, laquelle détermine la temporalité des chantiers paroissiaux. L’augmentation des baptêmes relevée dans les registres paroissiaux, permet d’évaluer la santé économique de la paroisse. L’absence de comptes de fabrique est palliée en partie par l’analyse architecturale des édifices religieux et par les dates de construction sculptées sur les différents éléments qui les composent. La construction de maisons de marchands – 7 au 17e siècle, 11 au 18e siècle – est un autre marqueur de prospérité toilière.

  • Période(s)
    • Principale : 18e siècle

Documents d'archives

  • Série G. Clergé séculier ; Sous-série 20 G Fonds des paroisses :

    - 20 G 665 : Délibérations (1740-1786), impositions, biens et revenus

    - 20 G 804 : Extraits des registres de délibérations de la paroisse (1767, 1768, 1769), comptes de l'église (1781-1784), chapelle du Rosaire (1782, 1785 et 1786), chapelle Saint-just (1780-1785) et chapelle Saint-Pierre (1782-1783), acte de fondation d'une école de la charité au bourg de Trévé et mémoire concernant cette fondation (1715), procédure (1767-1768), contrat des rentes dues à la fabrique (1719 et 1767), testament (1709), tableau des prêtres, recteurs et vicaires

    Série C. Administrations provinciales ; Sous-série 1 C. Administrations :

    - 1 C 43 : Capitation des paroisses

    Archives départementales des Côtes-d'Armor : 20 G 665, 20 G 804, 1 C 43
    20 G 665, 20 G 804, 1 C 43
  • Série C. Administrations provinciales ; sous-série 1 C. Intendance et Etats de Bretagne :

    - 1 C 6242 : Enregistrement des marques des fabricants

    Archives départementales d'Ille-et-Vilaine : 1 C 6242
    1 C 6242
  • Archives municipales de Trévé :

    - 1 G 35 : Contributions directes : rôles, matrices

    - 1 D 1 : Conseil municipales, délibérations : registre

    1 G 35, 1 D 1

Bibliographie

  • LAGADEC Yann, Pouvoir et religion au village : la vie paroissiale à Loudéac, Trévé et Saint-Caradec au XVIIIe siècle, mémoire de maitrise d'Histoire, sous la direction d'Alain Croix, Université Rennes 2, 1991

    Bibliothèque universitaire. Université Rennes 2 : MH 1207/1 et 2
  • MARTIN, Jean. Toiles de Bretagne, La manufacture de Quintin, Uzel et Loudéac, 1670-1830. Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 1998.

    Région Bretagne (Service de l'Inventaire du patrimoine culturel)
    p. 163-173

Annexes

  • Le milieu marchand de Trévé
Date(s) d'enquête : 2025; Date(s) de rédaction : 2025