Cette casemate pour un canon et deux mitrailleuses est implantée dans l'angle sud du bunker Keroman III. Construite en béton armé sur un plan-type spécial, elle est dotée de deux chambres de combat (Kampfräume) et d’une caponnière (Nahkampfraum). Dalle de couverture et murs périphériques mesurent au moins 2 m d’épaisseur, ce qui place ce type de bunker comme "constructions permanentes" (Ständig Ausbau), c’est-à-dire à l’épreuve des bombes aériennes et étanche aux attaques au gaz. Son plafond est en poutrelle en I et en plaque métallique recouvert d’une dalle en béton armé. Ses murs extérieurs, côté musoir, présentent des graffitis.
Accès principal depuis le bunker KIII, accès extérieur vers le musoir et sortie de secours
Son accès (principal ?) se fait depuis le quai n° 13 de l’alvéole G par un couloir traversant le mur extérieur de 2,5 m d’épaisseur du bunker KIII via une première porte en bois de forte section côté alvéole [photographiée en 2009, elle a depuis disparu] et une deuxième porte, celle-ci blindée côté casemate, qui débouche dans la salle de ventilation (Lüfterraum).
Depuis la casemate, une porte blindée étanche à deux vantaux de type 882P7 (murée en partie basse), précédée d’un sas, permet de sortir sur le musoir sud de l’alvéole. Cette entrée est protégée par l’embrasure de la caponnière (Nahkampfraum) et par le créneau blindé de la salle de garde (Bereitschatsraum).
A l’extrémité nord du couloir central se trouve une sortie de secours.
La salle de ventilation
C’est dans la salle de ventilation (Lüfterraum) que l’on débouche depuis le quai de l’alvéole. De plan rectangulaire, elle est isolée par une porte blindée à deux vantaux et une porte légère étanche (probablement de type 19P7). La porte blindée de type 434 P01 à deux vantaux se ferme depuis l’intérieur du bunker KIII isolant ainsi la casemate en cas de combat. Sur son vantail supérieur, on peut lire de chaque côté en écriture gothique : "Bei Gas Türe zu", Fermez la porte pour le gaz, avec une flèche vers le volet mobile du judas.
En entrant dans la salle de ventilation, sur le mur de droite subsiste un filtre dépoussiéreur de couleur jaune ; au fond à gauche, se trouve un ventilateur industriel servant probablement à l’extraction des fumées de tir des chambres de combat vers l’extérieur de la casemate. Sa plaque constructeur a été prélevée.
Le mur de gauche porte les inscriptions : "Huile Cylindre" (derrière la porte blindée), "Huile Moteur", "Gas-Oil", "Petrole" avec des flèches vers le bas - à l’emplacement des fûts - qui témoignent de l’usage ce cette pièce comme local à essence et magasin par la Marine française. Deux fûts métalliques de 200 l sont siglés "BSM GAS OIL / DATE".
Les deux ventilateurs d’origine et leurs supports dont on aperçoit les emplacements, le deuxième filtre dépoussiéreur, des tuyaux et câbles électriques ont été prélevés. Les quatre fûts marquées Kriegmarine ont également disparu [cet ensemble a été publié dans Andersen Bö, 1994 et dans Luc Braeuer, 2008 - photographie daté de 1999. Il aurait été démonté après 2007. Une lampe murale étanche française apparait encore sur une photographie de juin 2019, mais a depuis également disparu.]
La porte blindée est dotée d’une serrure moderne.
La chambre de combat pour mitrailleuse modèle 1934
La chambre de combat (Kampfraum) pour mitrailleuse est dotée d’une porte blindée étanche à deux vantaux, d’une bouche de soufflage à vis réglable en métal et d’une bouche de surpression à clapet à contrepoids en aluminium (modèle 4ML01, diamètre 150 mm, à huit boulons) située près de l’embrasure.
L’embrasure est orientée vers le nord-nord-est [non vue de l’extérieur]. Elle est protégée des tirs ennemis par une plaque blindée en acier pour mitrailleuse (Schwere Stahl - Schartenplatte für MG). Il s’agit d’une plaque modèle 78P9, d’une taille de 3,80 m x 3 m et 20 cm d’épaisseur pour un poids de 18 t, avec orifice ovale de tir et volet d’occultation manuelle en forme d’ogive (l’aigle impérial du Troisième Reich et trois numéros - identiques - sont visibles : "bwn Nr. 537B"). De part et d’autre de l’embrasure se trouve un orifice circulaire pour lunettes de visée. La chambre de combat conserve son support d’affût basculant Schartenlafette modèle 1934 qui supportait une mitrailleuse modèle 1934 doté d’une rotule de protection. Au sol, une plaque métallique masque probablement une fosse à douille.
Au-dessus de l’embrasure se trouve un cartouche sur fond vert avec des marquages à lettrages blancs. On peut lire "St.", abréviation de Stande, abri, position en allemand et "R.Nr.", abréviation de Nummer, numéro précédé de "R." (abréviation en rapport avec le champ de tir ?). L’absence du numéro de position et de numéros pour le champ de tir interroge alors que le panorama de tir et les peintures de propagande sont finalisés.
Les murs de la casemate sont peints en blanc (à la chaux ?) avec plinthe en vert ; la plaque blindée est peinte en ocre marron clair avec les côtés dotés d’un liseré de même couleur que la plinthe.
A droite de l’embrasure, directement sur le mur, est peint en rouge carmin le panorama de tir de la mitrailleuse, son emplacement, deux flèches et des repères en mètres ou cadences de tir : "Sp. R. 400 m / Stb. 120 Rt / [Stb.] 40 Schw". On reconnaît au centre le bâtiment frigorifique du port de pêche dit la Glacière.
Ses murs comportent également deux peintures de propagande nazie :
Sur le mur à gauche de l’embrasure : Deux soldats au repos dont l’un assis par terre et deux soldats défilant au pas portant un pavillon, "Wenn unsere Spritze / Feuer Spuckt / Kein Mäuschen aus dem Loche guckt", Quand notre fusil crache du feu, pas un souriceau n'ose sortir sa tête du trou.
Sur le mur opposé à l’embrasure : un aigle stylisé et croix gammée [en noir] accompagnés du cri de guerre "Jederzeit Feuerbereit" [en rouge carmin], Prêt au feu, à tout moment ;
Sur les murs, des traces d’humidité sont visibles ainsi que des moisissures sur la plaque blindée.
La mitrailleuse modèle 1934 (Maschinengewehr 34 ou MG 34) qui armait cette chambre de tir disposait d’une cadence de tir théorique de 800 à 900 coups avec approvisionnement par bandes de 50 et 250 coups (7,92 x 57 mm Mauser). Sur affût fixe avec visée optique, la portée maximum utile de ce type de mitrailleuse atteignait 3 500 mètres.
Le couloir
Le couloir distribue les différentes pièces du bunker et la sortie de secours. Il est orné de deux peintures murales en rouge carmin sur le mur blanc :
Dans le passage : deux musiciens, quasiment jumeaux, chauves et d’un certain âge : l’un joue de la lyre franque, le second semble souffler dans une bouteille. Des notes de musiques volent autour d’eux.
Sur le petit mur oblique, entre l’entrée de la chambre de combat pour canon et l’entrée de la salle de garde : un soldat, un peigne et une brosse à la main, coiffe les cheveux d’un soldat assis sur un tabouret, "Beim [B]unkerfriseur. / "Wüllst d’Hoar z’ruk, Seppl ?" / "Na, de konnsta g’holtn !", Chez le coiffeur du bunker : "Veux-tu que je te refile tes cheveux, Jojo ?" / "Non, tu peux les garder !", écrit dans un dialecte de l’Allemagne du sud. En-dessous de cette peinture, se trouve une bouche de surpression à clapet à contrepoids.
La chambre de combat pour canon de 8,8 cm
L’accès à la chambre de combat (Kampfraum) pour canon est contrôlé par une porte blindée étanche à deux vantaux. Son embrasure rectangulaire orientée vers le sud-est, permettait au canon de tirer en direction du chenal et de la partie centrale de la rade de Lorient. L’embrasure est protégée au sud par un mur de flanquement qui assurait sa protection latérale du côté de la mer.
Dans le plafond, subsiste la bouche d'aspiration des fumées de tir. Afin de rendre homogène l'aspiration, la hotte est divisée par des lames en trois conduits. Le tuyau du système d'aspiration et d'évacuation des fumées de tir part dans le mur nord et rejoint vraisemblablement le ventilateur industriel situé dans la salle de ventilation.
Si les murs de la chambre de combat sont peints en blanc, la partie basse, sur un mètre de hauteur environ, est peinte en bleu clair (aujourd’hui apparaissant comme très délavé). Un liseré peint en rouge carmin couronne les murs ; un second liséré marron, parallèle au premier, est très légèrement visible. Le plafond est peint en ocre marron clair.
Ses murs comportent des marquages de tir et deux peintures de propagande nazie :
Au-dessus de l’embrasure, on peut lire : "Sperrfeuer / B [et] A", barrage B et A ;
De part et d’autre de l’embrasure : un aigle stylisé [de couleur marron, identique au liséré qui couronne le mur et très effacée révèle le dessin préalable au crayon gris] et une croix gammée [en noir] entouré d’un cercle [en rouge carmin] suivie du cri de guerre "Jederzeit", A tout moment et "abwechbereit", prêt à charger. Les deux croix gammées sont martelées.
Des inscriptions en marron, sous forme de trace, sont également visibles ("145°" ; "180°").
Hypothèse : certains repères de tir très effacés et comme repeints pourraient correspondre à un premier canon. Un canon de 7,5 cm d’origine française modèle 1897 est en effet d’abord mentionné dans cette casemate, puis un canon de 8,8 cm SK C/35.
Le canon Marine de 8,8 cm modèle 1935 (SK C/35) qui armait cette chambre de tir mesurait près de 4 m de longueur pour 776 kg. Il pouvait tirer des obus anti-blindage, des obus hautement explosifs ou incendiaires ou des obus éclairants à une vitesse initiale de 700 m/s. La portée maximum utile de ce type de canon atteignait 11 950 m. Ce type de canon était également monté sur des sous-marins de type VII, sur des dragueurs de mines et des chasseurs de sous-marins.
Sur le mur opposé à l’embrasure se voit l’emplacement caractéristique peint en rouge et la numérotation d’un extincteur de la Marine nationale [disparu].
L’embrasure est dotée d’une grille métallique doublé d’un grillage extérieur.
Un escalier en bois a été créé sur le mur de l’embrasure.
Le magasin à munitions
Attenant à la chambre de combat du canon et desservi par le couloir, le magasin à munitions (Munitionsraum) est fermé par une porte blindée étanche à deux vantaux. Les murs sont peints en blanc. Passages de câble sous forme de tuyaux et traces de chemin de câbles pour une lampe murale sont visibles sur le haut du mur. Un tuyau est également visible dans l’angle nord-est (ventilation ?). Il abrite une grande étagère en bois à quatre niveaux [celui du bas a disparu ; l'étagère est vermoulue] et une lampe murale étanche française. Sur le mur opposé à l’étagère, on peut lire : "1 BIDON : CAMOUFLAGE VERT / 1 BIDON : BRUN A ESSENCE" [inscription tracée à la craie rouge brun].
La salle de garde
D’une surface de 20 m2 environ (5 m x 4 m), la salle de garde (Bereitschatsraum) faisant à la fois pièce de vie et chambrée pour les soldats comporte deux accès contrôlés par deux portes légères étanche (probablement de type 19P7). Dans l’angle sud-ouest se trouve un créneau blindé (de type 483P2 ?) avec volet mobile contrôlant l’accès extérieur de la casemate depuis le musoir.
Les murs en béton, préalablement blanchis, sont peints en rose saumon. La pièce comporte une bouche de soufflage à vis réglable et une bouche de surpression à clapet à contrepoids. Des arrivées de câbles sont visibles au pied du mur oriental et une niche dans le sol est fermée par un panneau. Son poêle [disparu], dont on voit les conduits de cheminée et de ramonage, était implanté contre le mur sud. A proximité de son emplacement se voit un cartouche à fond vert en partie effacé. Le sol de la pièce imite un carrelage.
Des supports verticaux et crochets pour couchettes tubulaires rabattables sur trois niveaux sont encore en place ainsi que les crochets de suspension pour fixer les chaînes. Cette pièce pouvait vraisemblablement accueillir douze soldats (Alain Chazette, 2018).
Deux fûts métalliques de 200 l, deux barils, une caisse et des planches en bois sont stockés dans cette pièces.
La caponnière de défense
L’accès à la caponnière* (Nahkampfraum) de la casemate est contrôlé par une porte blindée étanche à deux vantaux aux angles arrondis de type 882P7. La porte de l’extérieur se ferme depuis le sas antigaz. Le vantail supérieur porte l’inscription "Local à essence" [période française] ; les vantaux sont numérotés.
L’embrasure de la caponnière permet de tirer vers l’ouest, c’est-à-dire devant l’entrée des alvéoles du bunker KIII. A l’extérieur, son embrasure de plan carré est revêtue en bois avec un profil anti-ricochet en gradin (Trepenscharte). L’intérêt de ce profil est éviter les "coups d’embrasure" ou "effet entonnoir" ; l’intérêt du bois, en lieu et place du béton, est que les projectiles s’y fichent évitant ainsi les éclats.
Une seconde embrasure - celle de la salle de garde -, dotée des mêmes caractéristiques, protège le couloir d’accès au bunker par le musoir de l’alvéole.
Le(s) servant(s) de la caponnière étai(en)t probablement armé(s) d’une mitrailleuse.
* C’est ce terme qui le plus usité dans les publications traitant du Mur de l’Atlantique (Rudi Rolf, 2008 ; ou Patrick Fleuridas, Karel Herbots et Dirk Peeters, 2008). Dans la fortification classique et moderne, il s’agit d’un ouvrage bas de flanquement établi dans le fossé sec d'une place forte.
Chargé d'études d'Inventaire du patrimoine à la Région Bretagne.